Thomas Lenthal | Directeur Artistique & Co-fondateur de System Magazine

Rencontre avec un Artisan de l'Image

Thomas Lenthal est sans conteste l'un des directeurs artistiques les plus influents de sa génération. Reconnu pour ses collaborations marquantes avec les plus grands noms de l’industrie de la mode et du luxe, notamment Dior sous Galliano, Yves Saint Laurent sous Tom Ford, et un corpus de travail impressionnant avec Juergen Teller, l'un des photographes les plus respectés de notre époque, Thomas est également le cofondateur de publications influentes dont Numéro et System, le magazine de référence sur l’industrie de la mode, qui vient de fêter ses 10 ans. 

Ma curiosité envers Thomas et son travail m'a conduit à le rencontrer afin de comprendre le processus derrière la création de ses images, l'évolution de System et la nature de ses collaborations avec les acteurs majeurs de l'industrie.

Dans cet épisode captivant, Thomas nous offre un regard éclairant sur son parcours, son métier et sa vision du monde de l'art et de la mode. 

Thomas Lenthal et le dernier numéro de System.

Au cours de notre conversation, vous découvrirez :

  • Sa conception du rôle du directeur artistique et son approche lors de ses diverses collaborations.
  • Comment et pourquoi il se distingue dans le monde de la mode et de l'art.
  • L'importance d'être "pertinent" dans une industrie en constante évolution, et les suggestions de Thomas pour maintenir cette pertinence.
  • L'histoire et l'avenir de la revue System, incluant la décision de mettre en ligne l'intégralité de son contenu et l'expansion vers System Beauté.
  • L'importance de l'émotion dans son travail et ce qui rend une image puissante selon lui.
  • Comment il co-crée une image avec les directeurs artistiques de grandes maisons de mode.
  • Comment Thomas travaille avec son équipe et ses collaborateurs.
  • Les détails de ses collaborations avec des photographes comme Juergen Teller.
  • Sa vision sur l'impact potentiel de l'intelligence artificielle sur le métier de directeur artistique et la création d'images.
  • La relation entre le passé, le présent et le futur dans la mode, et comment il aborde cette relation dans son travail avec les marques.
  • Le processus de sélection des personnes à mettre en avant dans un magazine.
Préparez-vous à plonger dans le monde fascinant de Thomas Lenthal, un univers où la mode, l'art et la beauté se rencontrent pour créer des images inoubliables.

Pile de magazines System et œuvre de Juergen Teller dans le bureau de Thomas Lenthal.

Extraits : 

Thomas Lenthal sur son rôle de directeur artistique : 
“Dans notre métier, c’est important d’écouter ce que les gens [les clients] avec lesquels on travaille ont à dire pour essayer de comprendre ce qu’on va pouvoir faire avec eux. Il faut essayer de les comprendre. Et puis après, quand ils n'ont pas de discours très élaboré sur le sujet qui les occupe, on va finalement interroger les fantômes. C'est-à-dire qu'on se penche sur la marque et sur ses débuts, sur toutes ces choses-là, qui sont des choses qui informent énormément notre pratique aussi. Donc, on a un peu une pratique d'historien et de psychanalyste."


Thomas Lenthal sur son processus de création et l’importance de l’intuition :

“[...] à la fin, la solution, elle va venir de quelque chose de beaucoup plus intime et de beaucoup plus indéfinissable et de complètement indicible et que quand on trouve, entre guillemets, la solution, on le sent. Mais ce n'est pas nécessairement rationnel. Mais voilà, en fait, c'est la note juste, c'est le mot juste. Il y a un moment, je pense que dans d'autres types de domaines créatifs, celui qui fait, il sent à un moment que ce qu'il fait est juste.”


A propos de la campagne “L’Homme Nu” avec Yves Saint Laurent sous Tom Ford : 

"C'est une image qui combine de nombreux aspects que nous apprécions en tant que directeur artistique. C'est une image qui est objectivement réussie sur le plan plastique. Tout y est très beau, y compris l'homme représenté. Mais il y a également un supplément d'âme, pour ainsi dire. Soudainement, tu fais quelque chose que personne n'a jamais fait, c'est-à-dire montrer de manière parfaitement explicite un sexe masculin. À ma connaissance, cela n'a jamais été fait pour un parfum, ni pour grand chose d'ailleurs en publicité, encore moins pour un produit de luxe. C'est complètement inédit, donc c'est fantastique de faire quelque chose d'inédit. Et en plus, cela a du sens car cela s'inscrit dans l'histoire de la marque, dont le fondateur, 40 ans plus tôt, s'est également montré nu. À l'époque, il n'était pas frontalement nu, mais il était nu, ce qui était déjà un moment singulier dans l'histoire de la communication. Donc là, tu es vraiment dans une sorte de tiercé gagnant assez incroyable où tu as une très belle image, avec quelque chose d'extrêmement novateur, mais qui n'est pas dissocié de l'histoire de la marque dont tu parles."


A propos de System Magazine :

“C'est une suite de rendez-vous récurrents. Il y a une espèce de grosse armoire normande vachement bien rangée, mais dans laquelle on peut mettre tout ce qu'on veut, beaucoup de choses très différentes, mais toujours en respectant une structure éditoriale qu'on a fixée dès le premier numéro. Ça a été tout de suite assez évident. On a conservé cette structure, on a conservé cette maquette. Ça a très peu évolué en dix ans, parce que dans notre esprit, l'idée, c'était aussi de pouvoir accueillir évidemment toutes sortes de choses extrêmement disparates, parce  que la mode, c'est ça, et c'est ça qui fait que la mode, c'est amusant et c'est intéressant et c'est excitant. Des choses disparates qui changent tout le temps. Moi, je pensais qu'il fallait, paradoxalement, je ne sais pas si c'est paradoxal, mais créer un corset extrêmement clair et solide pour pouvoir accueillir tout ça et donc rester comme ça, un petit peu immuable pour parler d'une industrie qui est le contraire d'immuable.”


Sur la manière de rester "pertinent" dans une industrie en constante évolution :

"Pour être pertinent, en tout cas, pour moi, une des solutions idéales, c'est franchement de faire un magazine. C'est de faire un magazine parce que si on est un peu paresseux, ça oblige à s'intéresser vraiment à ce qui se passe, à vraiment regarder qui sont les gens nouveaux, ce que fait l'industrie, se poser des vraies questions tout le temps sur l'état de l'industrie."


A propos de Juergen Teller et de sa collaboration avec System :

"Juergen Teller, c'est presque quelqu'un qui vient contredire tout ce qui est System, d'une certaine manière, parce que c'est un des photographes qui a le point de vue le plus subjectif sur les choses. C'est quelqu'un qui regarde le monde d'une manière extraordinairement personnelle. Il n'est que subjectivité, Juergen, alors que nous, à System, notre sujet, c'est d'être objectif, lui, il fait le contraire. Je pense que cette dialectique est hyper intéressante. Je pense que Juergen, il y a dix ans, c'était quelqu'un d'extrêmement respecté dans l'industrie. En 10 ans, son statut a changé aussi. C'est devenu une figure encore plus considérable qu'il ne l'était il y a 10 ans et il appartient lui aussi qu'il le veuille ou non, à cet écosystème. Il représente quelque chose là dedans et c'est sûr que c'est le passage. Tu fais la couverture de système, c'est Juergen Teller qui va faire ton portrait, qui va prendre en charge le sujet qui te concerne. Ça, c'était un système qu'on a mis en place dès le premier numéro et on n'a jamais dérogé.”


Sur ce qui touche Thomas Lenthal dans une image :

 "C'est la singularité, c'est à dire que d'abord, effectivement, ce qu'elle va raconter. Et puis, moi, ce qui m'intéresse dans les images de mode, c'est au-delà du style, au-delà du style, justement, c'est le regard sur quelqu'un. C'est l'humain, c'est un peu bête à dire, mais une bonne photo de mode, c'est toujours un grand portrait de quelqu'un. Je pense que si tu ne t'intéresses pas à la personne que tu photographies, il vaut mieux photographier une pomme et encore et en même temps, il faudrait s'intéresser à la pomme quand on photographie la pomme. Ça, c'est vite fait. Le tri, il est vite fait. Quand on voit pas que le photographe a quelque chose à dire sur la personne qu'il est en train de photographier, c'est vraiment un problème. C'est très, très embarrassant, ça. Donc oui, je cherche ça avant tout, ce portrait d'un individu.”

 "Tu sens ce truc où tu es en présence de l'autre à travers une image. C'est quand même assez magique, ça. C'est la magie des images. Moi, quand j'étais petit, j'allais beaucoup au musée et je m'intéressais beaucoup à la peinture et c'est sûr que l'art du portrait ou de l'autoportrait, c'était quand même le truc qui me captivait le plus, d'être en présence de quelqu'un, d'un être humain qui n'est plus là ou qui n'est pas là ou qui n'existe pas, je n'en sais rien, mais bon, c'est cette chose purement humaine, je pense qu'elle est évidemment fondamentale dans la photographie de mode. Et les grands photographes de mode, ce n'est que ça. C'est des portraitistes. C'est Penn, Avedon, Helmut Newton dans une certaine mesure, mais aussi Hoyningen-Huene et tous ces gens là. Même les grands formalistes comme ça, il y a toujours une sensibilité à l'être qui est touchante.”


A propos de son goût et ses inspirations :

 "L'émotion la plus violente, c'était une marionnette de marquise au jardin du Luxembourg, qui était la plus belle femme du monde pour moi, tout d'un coup. Si vous allez au jardin du Luxembourg, vous pouvez aller voir le guignol du jardin du Luxembourg, la photo de la marquise est toujours là. Et quand je passe devant, je regarde, je me dis « C'est incroyable. » C'est un truc qui m'a vachement frappé. C'est une figure, c'est une marionnette en bois peinte avec une mouche et une perruque blanche et une robe en satin. C'est très marrant, c'est une espèce de grande poupée et je la trouvais sublime.”


Ce qui fait un bon nom selon Thomas :

 "Un bon nom, c'est un truc programmatique, j'ai l'impression. C'est un truc sur lequel tu t'appuies en disant « C'est mon identité, c'est mon nom. » À partir de là, tu construis ton identité à partir de ton nom et tu affermis ton identité de plus en plus à partir de ton nom et tu finis par ressembler de plus en plus à ton nom. C'est un peu comme les gens. Les mecs qui s'appellent Mathieu, ils ne sont pas comme les mecs qui s'appellent Jean Marc. [...] Et un magazine peut être, j'ai la faiblesse, la sottise de croire que c'est un peu la même chose. Et tu deviens de plus en plus... Ton magazine devient de plus en plus cohérent avec son propre nom. Je pense que ça a une influence fondamentale. Donc un bon nom peut-être, c'est un nom qui marche bien à l'international, pourquoi pas, et qui effectivement devient programmatique. C'est sûr que quand tu t’appelles System, tu ne fais pas la même chose que quand tu t’appelles Paradis ou que tu t’appelles Numéro.”


Sa vision du métier de créateur il y a 20 ans et aujourd'hui :

“La mode, il y a 20 ans, c'était 10 fois plus petit. Dix fois. C'est la différence entre un truc qui fait 10 centimètres et un truc qui fait 1 mètre. Donc, les enjeux ne sont plus du tout les mêmes. Ça rigole plus. Les gens bossent énormément. Ce qu'on demande aujourd'hui à un créateur, ce n'est pas ce qu'on attendait d'un créateur il y a 40 ans, évidemment. Un créateur, il y a 40 ans, c'est quelqu'un qui faisait deux collections de couture et deux collections de prêt-à-porter et qui disait « OK, très bien, [lançons] les lunettes de soleil », faites par un licencié au Japon ou je ne sais pas où. Ce n'est plus du tout la même chose. C'est un boulot qui demande une application, une endurance, une concentration très particulière qui n'est pas forcément compatible avec un style de vie extravagant. Il faut mieux se coucher de bonne heure.”

Références :
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Vanessa Seward | Créatrice de mode & Artiste peintre

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Sophie Carbonari | The French Facialist